


Le printemps dernier, le “champagne des fées” a littéralement envahit les réseaux sociaux. Mais qu’est-ce qui nous a pris, à toutes et tous, de vouloir soudainement faire buller ainsi les fleurs de sureau?
Pourtant, rien de nouveau
Cette boisson fermentée n’est cependant pas une nouveauté. Ce type de fermentation est même ancestral.
En revanche, ce qui est récent, c’est d’une part de focaliser les fermentations sur le houblon, pour la bière. Et de fabriquer des limonades en mélangeant de l’eau, du sucre, des arômes et du gaz carbonique, pour les limonades. Autrefois, les bières étaient plus diversifiées, et les limonades fermentées.
Jusqu’au Moyen-Âge, une diversité de plantes
Comme le rappelle Sarah Baldwin, dans un article de synthèse intitulé “The Ancient Art of Herbal Beer and Wine”[1], il n’en a pas toujours été ainsi.
En effet, ce n’est qu’au Moyen-Âge que les diverses plantes utilisées autrefois pour préparer bières et vin ont été pour la plupart écartées des compositions. Jusqu’à cette période, on utilisait des plantes aussi variées que l’achillée millefeuille, l’armoise commune, le thym, le pissenlit, la menthe, la citronnelle, l’aubépine, la bruyère, la myrrhe, ou encore les branches de sapins.
Parmi les traces les plus anciennes de fermentations à base de plantes, on aurait retrouvé, sur des poteries chinoises datant de 9000 ans, des traces de riz, miel, raisin et aubépine.
Quant à la production industrielle de limonade dénuée de fermentation, nous pouvons en situer l’origine, principalement, aux années 1950. Soit les débuts de l’essor de l’industrie agro-alimentaire.
Effets sédatifs du houblon
Mais comment, alors, expliquer une telle mise à l’écart des diverses plantes, à partir du Moyen-Âge? Selon les auteurs que cite Sarah Baldwin, cette mise à ban serait en lien avec le protestantisme néerlandais.
Les religieux auraient en effet considéré que la consommation de boissons à base de houblon était moins problématique que certaines plantes excitantes, voire hallucinogènes.
En effet, le houblon a notamment des vertus sédatives. Ce n’est donc pas uniquement la consommation d’alcool qui donne un effet relaxant à la bière, mais aussi la plante elle-même et ses principes actifs.
Néanmoins, nous pourrions également poser l’hypothèse que les avancées de la bio-chimie, durant la seconde moitié du 20ème siècle en particulier, ont également contribué à déconseiller l’usage de certaines plantes.
Des principes actifs pas si anodins
En effet, les principes actifs des plantes sont loin d’être si anodins, a fortiori dans un contexte de fermentation.
En effet, consommer une bière, ou un “champagne des fées”, implique bien plus qu’une simple infusion de plantes. Cela est dû à la fermentation elle-même, qui met en route des processus dits “enzymatiques”. C’est le feu du vivant qui est mis en marche.
Or, du fait de ces processus enzymatiques, tout élément de la plante utilisée pour ces préparations devient beaucoup plus “bio-disponible”. Cela signifie, simplement, que le houblon sera ainsi d’autant plus sédatif qu’il est passé par la fermentation. Il en va de même pour toute autre plante utilisée, et ses principes actifs spécifiques.
Mais alors, faut-il arrêter avec le “champagne des fées”?
Je dirais, simplement, qu’il serait bon d’arrêter de réduire la consommation de ces boissons à leur dimension récréative. Je dirais, surtout, qu’il serait important de savoir les utiliser avec une conscience claire de leur potentiel médicinal. Cela est vrai de toute plante sauvage comestible que l’on consomme, car la plupart d’entre elles sont également de grandes médicinales. Mais cela est d’autant plus fondamental avec des préparations fermentées.
Ainsi, Sarah Baldwin elle-même, dans son article, évoque le cas d’un adjonction de noix de muscade dans un vin de plantes. Celles et ceux qui en burent ne comprirent pas l’origine d’importantes hallucinations qui en découlèrent. Sans compter que cet ingrédient était régulièrement ajouté à un mélange similaire d’épices pour vin chaud, sans poser aucun problème.
Voilà pourtant un cas exemplaire de l’effet amplifié du principe actif d’une plante. La noix de muscade, en petites quantités et sans fermentation, est relativement anodine. Il en va autrement lorsqu’elle est consommée dans une boisson fermentée.
Fermenter les plantes dans la conscience de leur dimension médicinale
Au final, c’est justement dans la conscience de cet effet médicinal amplifié que la préparation de boissons fermentées aux plantes prend tout son sens.
Lorsque le blues de l’hiver s’abat sur vous, consommez ainsi une limonade de verveine citronnée, pour prendre soin du cycle féminin, faites fermenter quelques brins d’achillée avec le bon dosage entre eau et sucre, et pour prévenir et soigner les refroidissements de l’hiver, prévoyez un peu de champagne des fées.
A votre bonne santé!
[1] Baldwin, Sarah, “The Ancient Art of Herbal Beer and Wine”, The Herbal Academy, 2017.